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Notice au sujet de Rûmi

Source : Divan Shams Shafii Kadkani

Jalâl ud-Dîn Rumi est un des phénomènes de la pensée universelle.

Un être qui réunit en lui deux univers contradictoires : Le savoir et la connaissance, la matière et l’esprit, le tangible et l’intangible :

 

D’un côté, grâce à son père, - surnommé le Sultan des savants- , et les maîtres qui l’ont enseigné, il acquiert le savoir des sciences humaines et de la théologie.


D’un autre côté, après sa deuxième naissance, il devient un « fou d’amour » qui brise toutes les frontières de l’intellect et de la raison et bouleverse tous les principes.

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Rûmi nous dit à ce propos :

آینهام آینهام مرد مقالات نهام دیده شود حال من ار چشم شود گوش شما

Je suis le miroir, je suis le miroir et non pas un homme des discours,
Vous verrez mon état (serez capables de voir) si vos oreilles deviennent vos yeux.

Cela veut dire que lorsque le chercheur (du chemin) est capable de voir avec ses oreilles et d'entendre avec ses yeux, alors il comprendra l’état intérieur de Rûmi.
Rûmi est un océan sans limite aux profondeurs infinies.


Simple dans ses propos, les plus grands concepts de l’univers sont exprimés avec les mots les plus courants de la langue persane.

Rûmi est amoureux de l’amour. Il déchire le voile qui sépare l’être créé du Créateur. Il se voit dans la troisième dimension, dans le monde qui est au-delà de ce monde et de l’autre monde.

Voici quelques éléments historiques de sa vie :


Né à Balkh, ville antique située au nord de l’Afghanistan actuel, le 7 octobre 1207, contemporain de Saint Thomas d’Aquin (1224-1225), il s’appelle Mohammad. Son nom honorifique est Jalâl ud-Dîn, ce qui signifie la gloire de la religion.


Ses ancêtres et ses parents sont originaires de la région de Khorassân.


Son prère, Baha’ Valad, théologien connu des habitants de Balkh, porte le surnom de Sultan des savants. Il organise souvent des réunions spirituelles auxquelles participent beaucoup de personnes.


Dans ses propos, il critique un philosophe rationnel, Razi, proche du gouverneur de Balkh, disant que ses propos ne sont pas compatibles avec la foi. La proximité de ce philosophe avec le gouverneur et les critiques du père de Rûmi à son égard font que le Sultan des savants se sent menacé. Mais ce n’est pas la seule raison de son exil.


Pendant ce temps, une partie du peuple turc, les Tatares, avancent vers l’Est de l’Iran et menacent fortement la population. Beaucoup de gens migrent dans les pays voisins. Baha Valad, décide alors d’entreprendre, accompagné de sa tribu, un pèlerinage à la Mecque. Rûmi a 14 ans au moment de ce départ.


Le voyage commence à Balkh en 1221. Il les conduit à Bagdad et en Arabie Saoudite, à la Mecque, puis en Syrie, à Damas et à Alep, enfin vers l’Anatolie.
 

Mesurant la barbarie des Tatares, les gouverneurs turcs et le roi Seljukide proposent au père de Rûmi de ne pas retourner à Balkh et de s’installer à Konya. La tribu s’installe alors à Konya. 4 ans plus tard, à l’âge de 18 ans, Rûmi se marie avec la fille d’un grand dignitaire. De ce mariage sont issus 4 enfants : une fille et trois garçons.

La rencontre avec ‘Attâr

Sur le chemin du départ vers la Mecque, le père de Rûmi fait une halte à Nishabour, la ville où habite ‘Attâr. C’est une halte tout à fait logique, car le Sultan des savants tient à rendre visite au grand mystique qu’était déjà ‘Attâr. ‘Attâr, pendant cette visite, offre à Rûmi, adolescent de 14 ans, son traité mystique et philosophique, le Livre des secrets, et il déclare au père de Rûmi : bientôt, ton fils embrasera le cœur des amoureux (spirituels) du monde. Dans le texte il est dit : les brûlés du monde. Une métaphore qui fait référence à la conception de maturité sur le chemin de Dieu : au début, le chercheur est cru, puis il cuit, puis il est brûlé, consumé. Pendant cette dernière étape du chemin, le moi, l’ego, disparaît entièrement. Tout devient Lui au prix d’un renoncement absolu de l’être créé.

 

La rencontre avec ‘Attâr est une étape importante pour l’éducation et l’enseignement mystique de Rumi.


La période de ses études et son apprentissage en face à face avec le maître (de poitrine à poitrine) dure pendant plusieurs années. Damas, Alep, Konya sont des endroits importants pour cet enseignement car c’est là que vivent les grands maîtres de la théologie et de la mystique .

Le Sultan des savants, père de Rûmi, était prédicateur de la mosquée de Konya et continuait à organiser des réunions spirituelles. C’est grâce à sa présence que d’autres maîtres venaient à Konya et enseignaient le jeune homme. Au moment du décès de son père, Rûmi a 24 ans. Les disciples ainsi que les habitants de Konya lui demandent de prendre la place de son père. Alors il devient le prédicateur de la mosquée de Konya et organise à son tour des réunions spirituelles.

La renaissance de Rûmi

Rûmi a 39 ans. Il prêche, entouré de beaucoup de disciples et aimé de la population, quelle que soit la religion des gens. Il a une famille avec 4 enfants et vit paisiblement, même s’il est exilé.

Ce matin du 29 novembre 1244, Konya, au cœur de l’Anatolie, capitale du sultanat des Saljukides, est à son apogée. Les routes sont ouvertes, la péninsule est accueillante. Parmi les édifices de la ville, plusieurs caravansérails abritent le monde du commerce et des voyageurs.

Ce matin de novembre, un derviche est descendu au caravansérail des confiseurs. L’homme a 55 ans peut-être, un solitaire qui vient de Damas.


Damas, alors choyée par Saladin et ses fils, attire une élite de l’Islam rénové. Originaire d’Azerbaïdjan, cet homme est en quête. On va le voir à la porte du caravansérail. Il y a une échoppe. Il y est assis. Arrive un professeur des sciences religieuses de l’École supérieure, la madrasa. C’est lui, Jalâl ud- Dîn Rûmi. Shams ud-Dîn. Il bondit, saisit les rênes de sa monture.
La rencontre est foudroyante.


Rûmi est embrasé par le maître, Shams de Tabriz... Fin connaisseur de la voie mystique il avait repéré Jalâl ud-Dîn Rûmi à Alep , quinze ans avant la rencontre de Konya. Mais il a attendu la maturité suffisante de son disciple pour venir l’enseigner et l’embraser.

La première période d’entretien de maître et disciple dura environ 18 mois. Rûmi délaissa souvent ses occupations et négligea son entourage. La jalousie s’est répandue parmi ses disciples et au sein de sa famille. Pourquoi devons- nous nourrir et loger cet étranger qui accapare notre Maître bien-aimé ? disaient-ils.


A cause de cette jalousie, Shams de Tabriz repart à Damas et ne revient pas. Rûmi envoie son fils avec quelques disciples pour le prier de revenir à Konya. Cette fois-ci, pendant 14 mois, Shams et Rûmi ont des entretiens réguliers, intenses, à l’abri des regards. Mais une nuit, Shams disparaît. Encore aujourd’hui, le mystère plane sur cette disparition : est-il mort, a t-il été assassiné ? Est-il parti ?...


De toute façon, il laisse une grande nostalgie dans le cœur de Rûmi . Après la disparition de Shams, Rûmi a trois interlocuteurs pour dire sa peine. Le résultat de ces entretiens sont deux œuvres majeures de la poésie persane, que dis-je universelle : Divan Shams et le Mathnavi spirituel.


À travers quelques thèmes, Manijeh NOURI présentera ces deux œuvres dans la deuxième partie de son exposé.

En résumé, concernant sa vie sur terre, nous pouvons en dégager trois étapes :

- Exil occidental pendant l’adolescence
- Rencontre avec le Créateur à travers un maître

- Départ final.

 

Mais en même temps : Une étoile est née, qui éclaire encore le monde.

 

Les œuvres écrites de Rûmi

 

Divan Shams, le Mathnavi spirituel et le Livre du Dedans sont les seules œuvres composées par Rûmi. Les deux premières sont en poésie et la dernière en prose.

Après la disparition de Shams de Tabriz, Rûmi dit sa peine et sa nostalgie, ainsi que son admiration pour son maître. Mais ces poèmes, fruits de tout l’enseignement qu’il a reçu, sont d’une portée universelle. Il s’adresse à son maître pour le glorifier, mais, à travers lui, il glorifie le Créateur, il exprime son amour pour le Plus Haut.

Ce cahier d’Amour, en 70 000 distiques, exprime en même temps son adoration pour le Seigneur et son amour pour l’être exceptionnel que fut son Maître, Shams de Tabriz. Ces poèmes lyriques, nommés Ghazal, bouleversent tout un chacun, quels que soient notre croyance et notre regard sur le monde.

  

L’axe de la vie est l’Amour, dit Rumi ; ma religion est l’Amour.

دولت عشق آمد و من دولت پاینده شدم

J’étais mort, je suis devenu vivant, j’étais pleurs (larmes) je suis devenu rire, la gloire de l’amour est venue et je suis devenu monde éternel.

دانی که کیست زنده آنکو ز عشق زاید

مرده بدم زنده شدم گریه بدم خنده شدم

در عشق زنده باید کز مرده هیچ ناید

Dans (le royaume de) l’amour il faut être vivant car le mort ne peut rien faire. Sais-tu qui est le vivant ? Celui qui est né de l’amour.

Ce grand recueil de poèmes d’amour n’a pas de chapitres. Il n’est pas thématique, car il n’est pas construit de façon rationnelle. Cependant, tous les thèmes s’y retrouvent. Divers aspects et définitions de l’amour sont donnés en 7 chapitres. Manijeh NOURI en présentera quelques-uns.

Lecture des poèmes

Un mot au sujet de la danse, aujourd’hui emblème de la voie des soufis qui suivent la démarche de Rûmi.


Dans la pratique rituelle des soufis, la danse date au moins de deux siècles avant la naissance de Rûmi. Dans les textes des grands maîtres, tel Abou Sai’d Abul Kheyr, les mots tourner, faire des mouvements giratoires et danser, ainsi que le témoignage de cette pratique sont mentionnés.


Danser, tourner avec la technique des derviches, a pour but de s’élever et de se rapprocher du Créateur. Grâce aux tournoiements, l’écoute de ce qui vient du ciel est facilitée. Samâ’, littéralement l’écoute, est un des noms les plus connus de cette danse. Elle est aussi appelée en Europe, depuis le XVII°siècle, la danse des derviches. La cérémonie se passe entre le maître et les disciples, à l’intérieur du couvent des soufis. La musique et le chant font partie de la cérémonie.

Diapositifs de la danse              Ghazal de Rûmi N° 94, Èdition Shafii Kadkani

L’instant d’un souffle où tu es avec toi-même (dominé par ton ego), l’Ami te semble comme une épine,
Et l’instant où tu abandonnes ton ego (tu es en dehors de toi) à quoi te sert l’apport de l’Ami

L’instant d’un souffle où tu es avec toi-même, tu es la proie d’un moustique(1)

Et l’instant où tu abandonnes ton ego, c’est l’éléphant (2) qui vient te chasser.

L’instant d’un souffle où tu es avec toi-même, tu es enfermé par le nuage du chagrin(3),

Et l’instant où tu abandonnes ton ego, la lune (pleine) vient à tes côtés.

L’instant d’un souffle où tu es avec toi-même, l’Ami s’éloigne de toi,

Et l’instant où tu abandonnes ton ego, l’Ami t’offre la coupe du vin.

L’instant d’un souffle où tu es avec toi-même, tu es morne comme l’automne,

Et l’instant où tu abandonnes ton ego, l’hiver te semble comme le printemps.

Toute ton inquiétude provient du fait que tu cherches le repos (4)

Cherche l’inquiétude pour trouver le repos.

Toute ton instabilité et incertitude (5) proviennent du fait que tu leur cherches un remède,
Si tu renonçais au remède, alors le poison deviendrait savoureux et agréable pour toi.

Ton échec (6) provient du fait que tu cherches le succès,
Sinon, tous les succès(souhaits) viendraient vers toi comme des offrandes.

Sois amoureux des vexations et injustices de l’Ami, et non pas de son amour,

Afin que l’idole séduisante devienne éperdument amoureuse de toi.

Lorsque le Souverain d’Orient, Shams ud-Dîn arrive de Tabriz,
À Dieu plaise, tu auras honte même (de la beauté) de la lune et des astres.

(1) Le moustique étant très petit et insignifiant. L’image est souvent utilisée par les soufis. L’exemple de Nemrud, le roi puissant inquiété par un demi moustique qui avait pris place dans son cerveau.


(2) L’éléphant est choisi ici pour taille imposante, à l’opposé du moustique.


(3) Dans Mathnavi spirituel, (3/25) Rumi dit à ce sujet :

Le nuage reflète son ombre sur le sol,
La lune n’a pas d’ombre comme compagnon,
Être en dehors de soi-même est être sans nuage,
Quand tu es en dehors de toi-même, tu es comme la pleine lune.


(4) Qarâr, mot arabe, a plusieurs sens : repos, séjour, stabilité.


(5) Nâgovâresh : lit. : indigestion. Au sens figuré : instabilité et mauvais état. Farhangu-e bozorgu-e sokhan 

 

(6) Bimorâdî signifie aussi insuccès et malheur.

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