
Poèmes
Mah Chong-gi
Dessiner
J’ai commencé à dessiner.
J’ai décidé d’être aussi simple que l’hiver.
Arbre à la fenêtre s’endort,
figures de neige
s’amassent dans les os de celui qui erre.
J’ai commencé à dessiner une jarre.
J’ai décidé de vivre comme une plaine déserte.
Que tout ce qui restait là pourrisse
et se transforme en vin pour un homme assoiffé,
j’ai commencé à lécher
le chemin du dedans obscur et long
pour l’herbe d’amour qui ne pousse plus.
L’invisible pays d’amour (1980)
__________
Le pourquoi de la fleur
Je ne savais pas autrefois
pourquoi s’ouvre la fleur.
A l’éclosion de chaque fleur, je ne savais pas non plus
que l’arbre tout entier frémit doucement.
Je ne savais pas non plus autrefois
pourquoi se fane la fleur.
A la disparition de chaque fleur, autour de l’arbre,
bruit du vent arrosé
qui se réveille de son sommeil.
As-tu jamais aimé ?
Quoi dire, si l’on me le demande ?
La lumière du ciel de ce pays (1991)
__________
Dans une montagne, encore une montagne
Dans une montagne il est une autre montagne.
Dans la montagne qui se trouve devant nos yeux
il y a une montagne qui vit cachée,
si l’on va à la montagne
on pourrait donc entendre les paroles vives de la
montagne.
Sous la peau de la montagne rêche
odeur douce et profonde, une autre montagne.
S’il n’y avait pas d’eau dans l’eau
on ne se verrait pas dans l’eau.
Même allé seul vers la mer
on ne pourrait pas entendre les paroles qui viennent de
loin.
Dès lors, je ne peux qu’accepter que se trouve un autre je
au-dedans de moi.
Une existence plus menue que moi, qui vit cachée
au fond de moi,
l’âme d’une voix que j’entends seulement à travers le
silence.
La lumière du ciel de ce pays
__________
Allégorie du fleuve
Quand deux êtres se rencontrent et s’aiment
c’est un chemin d’eau qui s’ouvre entre eux.
Si l’un se sent triste, l’ami lui aussi a le cœur serré
si l’un clapote de joie, le cours d’eau scintille vivement
et l’on entend les rires de l’ami, même au bout du fleuve.
Au début, le chemin d’eau n’est ni long ni naturel
et l’un et l’autre devront alors s’envoyer de l’eau et s’unir
souvent
un chemin d’eau qui coule fidèlement toute une vie
n’est pas chose banale
un magnifique fleuve qui ne déborde ni ne tarit
n’est pas chose banale.
Un fleuve qui comprend tout à travers le courant sans
même recevoir votre long message
et qui s’endort tranquillement sans même vous voir
quelques années durant
un si grand fleuve ne coulerait pas sans signifier quelque
chose.
Rencontrer quelqu’un dans la vie et l’aimer pour
longtemps,
serait-ce chose facile et légère comme mourir et vivre ?
On ne pourra jamais connaître au fond le début et la fin
d’un grand fleuve
mais je voudrais être l’ami de quelqu’un qui s’évertue
à garder son chemin d’eau toujours limpide.
Quand mon âme s’endort, il veille sur moi
et quand je pense à lui, je vois toujours un fleuve plein de
vie
je voudrais aimer une personne aussi fraîche et gracieuse.
La lumière du ciel de ce pays
__________
Le visiteur
Lorsque j’ai ouvert la lourde porte
l’hiver était déjà venu.
Partout la bonne neige tombait
et le vent à travers les flocons
entourait avec grand soin les arbres vides.
Notre lien aussi était venu comme cela.
Les arbres blancs recouverts de neige
se rapprochaient davantage les uns les autres.
Les chemins enchevêtrés et tenaces s’estompaient,
toutes les mers regagnaient les rivages
puis le ciel qui s’était élevé avec légèreté
redescendait lentement pour devenir la terre.
Le visiteur, pourtant, repart toujours.
La paix que vous transmettez
je la reçois avec mes deux mains vides.
Les yeux de la rosée (1997)
__________
Les yeux de la rosée
Je suis allé sur une montagne couverte de feuilles
d’automne
et je me tenais debout une assiette vide dans les mains.
J’ai enduré le froid de la nuit
alors une rosée claire est apparue dans l’assiette.
Mais cette rosée était insuffisante
pour apaiser ma soif.
Si je recueillais la rosée encore une nuit, deviendrait-elle
abondante ?
Si je regardais, quelques jours durant, les yeux de la
rosée
pourrais-je trouver un poème clair et frais,
pourrais-je étancher ma soif sans raison ?
Le lendemain, avant même que vienne l’aube
à la place de la rosée une feuille morte est tombée sur
mon épaule
et s’est écriée « Peine perdue », « Peine perdue »
alors je me suis affaissé sur moi-même les épaules
lourdes.
La rosée n’a ouvert ses yeux clairs qu’au petit matin
et elle a chéri la feuille morte de cette nuit.
-Vous devez donc vivre vos yeux ouverts.
Regardez devant, derrière et dessus.
Voyez-vous tout ? Vous partez et vous revenez.
Jusqu’à ce que vous vous réunissiez tous un à un,
et même après
vivez les yeux ouverts, comme le vent ou la mer.
Moi qui vis comme le vent la montagne ou la mer
j’ai vu les deux yeux de la rosée. Dès lors
devant le vent ou derrière la mer
j’ai vu la rosée avec ses deux yeux ouverts.
Les yeux de la rosée
__________
Le paysage qui reste
Poème pour mon frère défunt, Hun
Un oiseau se pose sur une petite branche.
La branche se met à bouger faiblement.
Même après le départ de l’oiseau la branche
Tremble encore sans s’en rendre compte.
On dirait que la branche sanglote toute seule.
Le paysage qui reste s’obscurcit tout seul.
Les yeux de la rosée
__________
Fleurs de courge
Cette nuit la lune était pleine.
Le toit de la maison d’à côté s’est recouvert
d’innombrables fleurs de courge blanches.
Le clair de lune de la pleine nuit entourait
de son aura bleue ces fleurs de courge.
-Les fleurs de courge sont si belles.
-Oui.
Parole échangée avec mon père sur le seuil en bois de sa
chambre,
plongés chacun dans ses pensées, combien de temps
encore
aurons-nous regardé les fleurs de courge et serons-nous
restés à les écouter ?
-Va te coucher maintenant.
-Oui, Père.
Mon père essuyait ses larmes lorsque je me suis soudain
retourné.
Pourquoi cette nuit longtemps oubliée m’est-elle tout à
coup revenue ?
Sans jamais avoir vu les fleurs de courge, mes enfants
sont tous partis
chacun parvenu à l’âge adulte.
Les larmes de mon père me touchent le cœur aujourd’hui
seulement
et je ne me sens plus seul malgré son absence.
Ces larmes me sont devenues si chères.
Les yeux de la rosée
__________
Une longue rivière de ce monde
1
Au coucher subit du soleil quand l’ombre de la montagne
en descendant
se met à couvrir la large rivière assombrie
le cours de la vieille rivière devient plus étroit et
son nom et sa nationalité s’estompent eux aussi.
Prenant place au bord de la rivière de nationalité confuse
et rassemblant mes derniers jours où je me perdais
souvent
je veille toute une nuit écoutant le bruit de l’eau qui
remue.
Alors ton corps et le mien de nationalités confuses
baignent dans les eaux de cette rivière insondable,
ah, je comprends que nous sommes tous des gens natifs
du même pays
tant que nous sommes ainsi reliés les uns aux autres par
l’eau.
Enfin l’aube pénètre écartant la nuit lourde.
D’innombrables yeux d’eau qui scintillent,
les eaux de la rivière en se mêlant se frottent le corps.
Ah, cette lumière d’eau, la lumière que j’ai vue quelque part
dans ma jeunesse,
nous qui allons ainsi tous ensemble dans la même
direction,
je comprends que même perdus, nous restons debout
en une seule compagnie.
2
J’ai passé quelques jours tout seul au bord d’une longue rivière. Il n’y avait ni T.V., ni radio, ni littérature, ni beaux-arts, ni musique. Tout ce qui existait là était vivant. La musique vivait entre l’eau et le rocher, sur les lèvres d’une autre rosée rencontrant une rosée d’herbe vivaient les beaux-arts. La poésie vivait sur les antennes d’un insecte tâtant le sol, le roman vivait dans le long voyage tranquille de cet insecte.
Tout ce qui existait là bougeait. L’eau, des feuilles d’arbre, des nuages, des oiseaux et de petits animaux bougeaient sans cesse et l’eau de pluie, les cris des insectes nocturnes, la lumière du jour et le clair de lune de la nuit et la lumière d’eau de la rivière et l’ombre de toutes ces choses bougeaient. Ce monde qui bougeait autour de moi faisait mouvoir mon corps en me repoussant. Tout mon corps exposé, je me mis à respirer en imitant la respiration des feuillages épais des arbres.
Enfin, j’ai pu savoir que même ma chair, étant vivante, respirait. Le corps qui respirait, dès qu’il se fut échappé des ordres compliqués de ma tête inquiète, se mit à être à l’aise. Mes épaules devenaient légères ; mes yeux devenant vifs, je pouvais voir des fruits d’arbre se cacher dans la toile d’araignée ainsi que le chant d’amour que créent les insectes en agitant leurs ailes. J’ai enfin compris que toutes les choses du monde bougeaient en une seule chose.
Toutes les choses du monde n’en formaient qu’une. Elles ne pouvaient être différentes. Alors je me suis décidé à rejeter la différence entre le grand et le petit. Je me suis décidé à rejeter la différence entre le visible et l’invisible, entre vivre et mourir. C’était une décision difficile pour moi-même. Quelques jours après, alors que je disais au revoir à la rivière en quittant le rivage désert, elle s’est approchée de moi sans mot dire pour mettre quelques rivières claires et longues dans mon cœur. Alors je suis devenu une rivière.
Les yeux de la rosée
__________
Etoile, une joie qui n’est pas encore finie
Longtemps, je n’ai pas aimé les étoiles. Sans doute, vivant très éloigné de mon pays, je n’aimais pas avoir de la peine en les regardant se montrer et se cacher si loin de notre réel. Je n’aimais pas ces étoiles qui semblaient esseulées. Cependant, l’été dernier, sur la chaîne de hautes montagnes du Nord, les étoiles que j’ai rencontrées en pleine nuit étaient lumineuses, énormes et magnifiques. Les étoiles claires dormaient paisiblement dans la Voie Lactée toute proche comme si on pouvait y plonger les mains, et leurs souffles m’étaient tendres.
Autrefois, levant la tête, on pouvait regarder les étoiles du ciel ; on pouvait parler avec les étoiles n’importe où. Mais de nos jours, où le temps passe vite, on ne croit plus aux étoiles et on tourne le dos à l’espérance. Cet été, pendant quelques jours, en regardant toute la nuit le champ des étoiles bienveillantes et merveilleuses, j’ai vu soudain le visage de mon père défunt et celui de mon frère mort et nous avons été heureux d’échanger des nouvelles.
O être cher !
Je vous appelle par-dessus toutes les dissonances
du monde.
Vous ne devez ni souffrir ni vous attrister.
Y aurait-il quelque part une vie qui ne soit pas
éphémère ?
Pour moi aussi, ces dernières années sont venues avec
beaucoup de peines.
Je vous regarde en m’appuyant sur ces peines et sur
mon corps épuisé.
ô étoile, ô regret affligeant qui n’est pas encore fini,
vous devez atteindre une joie qui demeure dans un
lieu difficile à rejoindre.
Votre accord est un cadeau de Dieu.
Je ferme la porte, éteins la lumière
et touche, moi aussi, votre étoile.
Les yeux de la rosée
__________
Fleur de la fête
Si l’on entre par exemple à l’intérieur d’une fleur
il y fait doux.
Là où vivent
l’étamine et le pistil
s’appuyant discrètement l’un contre l’autre
sous prétexte du vent ou d’un toucher.
Même une fleur fanée qui baisse la tête
est douce.
Fécondée ou non
mais comme évanouie sans même se couvrir d’un drap
la fleur profondément endormie
se tient frêle et gracieuse.
Le voyage par lequel je viens vers vous
sera doux lui aussi.
Les yeux et les oreilles de la fleur endormie
sont ensevelis au fond de rêves inexaucés
ô séparation, ô signe de la fête !
La poussière de pollen éplorée à profusion
nous baignera complètement.
Le rêve des oiseaux sent l’arbre (2002)
__________
Révélation dans les fleurs des champs
1
Au bout d’une année l’Apôtre Jean
sort d’une grotte dans la roche profonde.
Patmos, un îlot de pierres dans le détroit de la Mer Egée,
les rayons de soleil sont chauds comme chaque année.
Trop vieux, il ne voit pas bien.
Il boit de l’eau de pluie recueillie dans un verre
puis agite ses mains en guise de parole : « Aimez-vous
les uns les autres ».
Alors que Jésus est mort depuis si longtemps,
quepeuvent signifier ces cheveux blancs qui flottent
lorsqu’il marche lentement dans le chemin de pierres ?
2
Les lettres de Jean adressées aux sept églises sont arrivées,
expédiées par un bateau de bois en proie à la tempête.
Ombre des paroles qui ont traversé un long périple maritime,
déchirée par punitions, ordres et hypothèses,
on n’y perçoit pas bien la sincérité de l’amour et de la douleur
on n’y voit pas bien non plus l’horizon avec ses longues houles.
3
Dans la grotte où Jean écrit la Révélation,
devant une table en pierre avec un verre d’eau
un jeune prêtre orthodoxe s’assoupit.
Son visage lumineux surmonté d’un haut chapeau noir
exprime sobrement une vision de ses rêves confus.
Quand je sors de la grotte après avoir escaladé des
dizaines de marches en pierre
le vent qui habite l’îlot me lave le visage,
des fleurs des champs rassemblées comme une trace
se pressent autour de moi
pour me chuchoter à voix basse : « Aimez-vous les uns
les autres ».
A cause du bruit des vagues je ne sais trop qui aura
prononcé ces paroles
mais le souffle de cette voix a fait trembler mes jambes.
Seules dansaient les fleurs odorantes et ardentes.
Le rêve des oiseaux sent l’arbre
__________
Questionnement en ce jour froid
Alors qui suis-je maintenant ?
Un cornouiller à la peau crevassée
par le vent d’hiver sourit sans répondre.
Celui qui garde ses rêves est heureux.
Quelques filets de vent très âgés se lèvent
et remuent le ciel bas :
« Des fruits paresseux qui ne sont pas revenus de leur rêve
vivent tout aussi heureux. »
Quand s’en va ce froid passe une saison
et tout le corps du cornouiller se couvre de fleurs blanches
alors je me débarrasse de la grille de fer mélancolique
enfouie dans mes os
et mets fin à mon long voyage sans but.
Un vieil oiseau qui cesse de battre des ailes,
traverse-t-il à grand peine le ciel gelé ?
Le ciel prend-il dans ses bras le vieil oiseau ?
Alors qui suis-je maintenant ?
Ni perfection ni certitude
le cornouiller dépouillé ne nous laisse rien voir,
la tentation de marches claires et vives
est aussi chaleureuse que les derniers jours d’hiver.
Le rêve des oiseaux sent l’arbre
__________
Ma maison
La maison du poisson est l’eau
la maison des oiseaux est le ciel
ma maison est la terre, ou bien un bateau vide.
Le poisson s’endort au bruit de la rivière
les oiseaux s’endorment dans l’auréole de la lune
je m’endors au frisson de la terre qui se refroidit.
Le poisson qui ne pouvait fermer ses yeux toute une vie
ferme ses deux yeux dans le rêve et dort d’un sommeil
profond,
le rêve des oiseaux endormis tombe sur l’arbre
et réveille l’arbre endormi en pleine nuit sans lune.
Le rêve des oiseaux sent l’arbre.
Ma maison est l’oreille de la terre,
ma maison où tous les bruits affluent pour jouer ensemble
est la sueur de la terre,
recevoir le sel, le tourment, la joie et la chaleur
qui sont fondus dans l’eau.
Ma maison qui rentre d’une longue balade
après avoir traversé une chair nue, symbole bienheureux
est la terre, un bateau sur terre,
ma maison qui tangue aux vagues rebelles de la terre
est un bateau de pêche en péril.
Le rêve des oiseaux sent l’arbre
__________
Blessure 1
Marchant sur un sentier dans la forêt de pins
j’ai cherché l’arbre qui sentait particulièrement fort
il était marqué d’une blessure profonde au pied.
Seuls les pins dévoilant leur réalité ultime
nous laissent apercevoir la vérité d’un corps plein de vie.
Peut-être guérissent-ils en recollant leurs os et
en rattachant leurs chairs
avec la sève qui cache et recouvre l’endroit brisé
seuls les arbres au passé ensanglanté
ne dissimulent jamais leur nom et leur identité.
Ces arbres n’ont pas honte d’être arbres.
Avant d’être blessé
moi aussi je vivais faussement tranquille en me cachant
derrière mon ombre.
De même que le pin se laisse reconnaître uniquement
par son odeur
moi aussi je me suis découvert
seulement après avoir fait couler mon sang imprévu.
Notre peur retourne à la forêt.
Nous appelons-nous l’un l’autre ? (2006)
__________
Miracle
Quand je regarde l’aube qui a enduré une nuit froide
et que j’entends l’aurore ouvrir lentement sa porte
tout commencement d’un nouveau jour me semble un
miracle.
Dernière étoile qui veillait sur moi ces jours passés,
quand elle part pour une longue route vers le ciel où
pointe le jour
on ne pourra tout se raconter avant de se quitter :
« On s’est vu peu de temps, on se reverra encore,
oui, ça marche »
Au détour d’un chemin où devient plus vague le bruit
familier du ruisseau
les âmes de la brume se réveillent en s’étirant
et avec quelques petits arcs-en-ciel graciles qu’elles ont
choisis
elles lavent les deux mains de ce matin.
Nous appelons-nous l’un l’autre ?
__________
S’appeler par les noms
Nous appelons-nous encore l’un l’autre ?
Quand un oiseau noir perché sur une branche
pleure plusieurs fois d’une note désolée
un autre oiseau lui ressemblant vient tout de suite
s’asseoir sur la branche d’à côté comme si de rien n’était.
Tout près, faisant même du vent avec ses ailes.
L’un appelle-t-il encore l’autre ?
Cet oiseau ne vient plus depuis quelque temps.
On a beau l’appeler, on ne le voit pas.
Par une nuit aride et solitaire sur la même branche
l’oiseau cherche son semblable comme en parlant dans
son sommeil.
De lourds partis pris pèsent dans toute la chambre.
Au loin un bruit de sifflet recouvert de mousse
perce étrangement l’épaisseur de la nuit puis disparaît.
On voit s’éteindre un à un des réverbères.
Des cœurs brisés roulent également sur le trottoir.
Dissimulant même son nom, chacun est devenu seul.
Nous appelons-nous encore l’un l’autre ?
Nous appelons-nous l’un l’autre ?
__________
Lettre du Népal
Enfin maintenant je crois comprendre pourquoi l’on
compare l’homme à la fleur.
La chaleur du corps entre les pierres qui se révèle si
longtemps après,
la fleur qui laisse cent ans de silence en vivant seulement
dix jours,
sobres de paroles, ces êtres filent leurs propres habits
alors ces voix gèlent en chemin et se brisent même
devant moi.
La fleur glacée me connaît si bien même si elle ne me
sourit pas.
Pendant plus de la moitié d’une année les ongles de mes
pieds et mains n’ont pas poussé
et plus de la moitié de mes cheveux sont tombés ça et là.
C’est dû à l’oxygène raréfié ou bien à la mauvaise
nourriture, dit-on.
Mais je voudrais me débarrasser des accessoires
compliqués de mon corps que je gardais,
une fleur sauvage au centre de la vie, je voudrais
que ce retour
long, ardent, mystérieux soit mon nom et enfin
un aboutissement.
Connaîtriez-vous un lieu appelé le ciel Yujang ?
Là où le lotus céleste s’endort après s’être épanoui,
c’est le ciel le plus sage de tous les cieux.
Nous vivons une vie pareille à l’ombre, vous le savez bien,
pour arriver sain et sauf jusqu’à ce lieu plein de vie
et si paisible
j’apprends à manger de l’air comme des grains un à un.
Enfin j’ai l’impression d’atteindre la peau nue du ciel.
Par-dessus l’air je commence à devenir léger.
Tous les côtés et toutes les directions s’éclaircissent.
Tous mes vœux s’épanouissent enfin maintenant.
La peau nue du ciel (2012)
__________
Le vent qui se tient debout au coin de la rue
Après des années de vagabondage je suis revenu de loin
et tu étais ce vent qui agitait ses mains
lorsque je m’en allais.
Là où se rencontrent la triste mer du Nord et la Norvège
où il fait grand jour même à deux heures du matin,
sur le vieux petit pays qui sommeille sans âme qui vive,
telles les lignes de la main,
des ruelles se tiennent debout comme de misérables
étrangers.
Comment aurais-je imaginé que tu te lèves, corps léger,
pour me prendre les mains alors que je te croyais parti !
Le vent est-il une résurrection en sanglots ou bien
un souvenir ?
Peut-être à cause de sa vie errante et dure
la feuille du vent se trempe dans la rosée tardive
du matin.
Le signal lumineux déréglé d’une vie déraisonnable
chante d’une voix enrouée sans tenir compte de son âge.
Une voix que j’y ai laissée m’appelle.
Le village où sanglote toujours le vent, dit-on,
je le reconnais enfin en arrivant au coin de cette rue.
La peau nue du ciel
__________
La frontière est aride
Comprends-tu à présent
pourquoi j’ai désiré
ne faire qu’un avec toi ?
Entre un pays et un autre,
entre toi et moi,
cet ultime refus,
barbelé aussi glacial que la lueur d’une lame.
Par ruses grossières et par avidités
la frontière traverse une montagne verte
et dépèce jusqu’au fleuve impétueux.
C’est vrai, la peau de la frontière
est rugueuse.
Comprends-tu à présent
pourquoi je vis depuis si longtemps séparé
du pays que j’aime ?
Et puis comprends-tu à présent
pourquoi je t’approchais davantage
pour me frotter contre toi à la première occasion
et pourquoi je t’ai donné un baiser ému
à l’abri de la tempête sur la plaine aride.
La peau nue du ciel
__________
Un nénuphar
Ami, ainsi le temps
s’est vraiment évanoui.
L’eau qui a du mal à se calmer
devient pluie pour tomber de nouveau sur terre
par le karma de la transmigration.
Seule l’eau subtile et pensive
devenant brume après avoir changé son itinéraire
vient vous chercher au soir de votre vie
et renaît en nénuphar blanc rêveur.
Je vous l’ai déjà dit, n’est-ce pas,
même les idées élevées ou profondes
ne valent votre front
ni votre cœur plein d’espoir.
Le nénuphar né aujourd’hui, je ne sais pourquoi,
fuit tout l’après-midi mon regard.
Comme des rumeurs impudentes qui s’infiltrent,
les environs deviennent peu à peu étrangers.
Votre présence se fait sentir partout,
cela signale-t-il le moment de mon départ ?
Ami, tout s’est évanoui trop vite.
La peau nue du ciel
__________
L’arrière-chemin du printemps lointain
A l’époque je ne savais même pas que c’était le printemps.
Pourquoi les fleurs étaient si resplendissantes
pourquoi un ami qui regardait les fleurs soudain
s’en est allé
Je ne savais rien à cette époque.
Il fut un temps.
Une époque où l’on était plus fier, plus pur, plus lumineux,
je dépérissais en rêvant dans une prison pourrissante.
Ce recoin que connaissent seules les personnes
qui ont été battues à tort.
Quand bientôt arrive l’été
que s’endort la révolution qui m’a fait partir
que s’éteint le feu de l’idéologie qui n’a pu renaître,
Roses de la cour, lys, colombes et rayons du soleil…
La prophétie de ce matin exalté
nous enveloppera de sa voix basse.
Toi, tu étais l’unique corps pour moi.
As-tu vu mon sang ce jour quand je m’en suis retourné ?
As-tu vu l’impatience qui me faisait mordre les lèvres
chaque nuit
et mes longs cheveux mal arrangés ?
Sur les feuilles clairsemées de l’arbre en retraite
se réveille une prière du printemps que j’ai délaissée il y a
longtemps.
Je ne peux rien affirmer sur demain qui est long et loin,
oui, c’est vrai, tu m’as illuminé.
Là-bas, roses, lys, colombes et rayons du couchant…


Poèmes
Mah Chong-gi
Dessiner
J’ai commencé à dessiner.
J’ai décidé d’être aussi simple que l’hiver.
Arbre à la fenêtre s’endort,figures de neiges’amassent dans les os de celui qui erre. J’ai commencé à dessiner une jarre.J’ai décidé de vivre comme une plaine déserte.Que tout ce qui restait là pourrisseet se transforme en vin pour un homme assoiffé,j’ai commencé à lécherle chemin du dedans obscur et longpour l’herbe d’amour qui ne pousse plus. L’invisible pays d’amour (1980) __________ Le pourquoi de la fleur Je ne savais pas autrefoispourquoi s’ouvre la fleur.A l’éclosion de chaque fleur, je ne savais pas non plusque l’arbre tout entier frémit doucement. Je ne savais pas non plus autrefoispourquoi se fane la fleur. A la disparition de chaque fleur, autour de l’arbre,bruit du vent arroséqui se réveille de son sommeil.As-tu jamais aimé ?Quoi dire, si l’on me le demande ? La lumière du ciel de ce pays (1991) __________ Dans une montagne, encore une montagne Dans une montagne il est une autre montagne.Dans la montagne qui se trouve devant nos yeuxil y a une montagne qui vit cachée,si l’on va à la montagneon pourrait donc entendre les paroles vives de lamontagne.Sous la peau de la montagne rêcheodeur douce et profonde, une autre montagne. S’il n’y avait pas d’eau dans l’eauon ne se verrait pas dans l’eau. Même allé seul vers la meron ne pourrait pas entendre les paroles qui viennent deloin. Dès lors, je ne peux qu’accepter que se trouve un autre jeau-dedans de moi.Une existence plus menue que moi, qui vit cachée au fond de moi,l’âme d’une voix que j’entends seulement à travers le silence. La lumière du ciel de ce pays __________Allégorie du fleuveQuand deux êtres se rencontrent et s’aimentc’est un chemin d’eau qui s’ouvre entre eux.Si l’un se sent triste, l’ami lui aussi a le cœur serrési l’un clapote de joie, le cours d’eau scintille vivementet l’on entend les rires de l’ami, même au bout du fleuve. Au début, le chemin d’eau n’est ni long ni naturelet l’un et l’autre devront alors s’envoyer de l’eau et s’unirsouventun chemin d’eau qui coule fidèlement toute une vien’est pas chose banaleun magnifique fleuve qui ne déborde ni ne taritn’est pas chose banale. Un fleuve qui comprend tout à travers le courant sansmême recevoir votre long messageet qui s’endort tranquillement sans même vous voirquelques années durantun si grand fleuve ne coulerait pas sans signifier quelquechose.Rencontrer quelqu’un dans la vie et l’aimer pourlongtemps,serait-ce chose facile et légère comme mourir et vivre ? On ne pourra jamais connaître au fond le début et la find’un grand fleuvemais je voudrais être l’ami de quelqu’un qui s’évertueà garder son chemin d’eau toujours limpide.Quand mon âme s’endort, il veille sur moiet quand je pense à lui, je vois toujours un fleuve plein devieje voudrais aimer une personne aussi fraîche et gracieuse. La lumière du ciel de ce pays__________Le visiteur Lorsque j’ai ouvert la lourde portel’hiver était déjà venu.Partout la bonne neige tombaitet le vent à travers les floconsentourait avec grand soin les arbres vides.Notre lien aussi était venu comme cela. Les arbres blancs recouverts de neigese rapprochaient davantage les uns les autres.Les chemins enchevêtrés et tenaces s’estompaient,toutes les mers regagnaient les rivagespuis le ciel qui s’était élevé avec légèretéredescendait lentement pour devenir la terre. Le visiteur, pourtant, repart toujours.La paix que vous transmettezje la reçois avec mes deux mains vides. Les yeux de la rosée (1997) __________ Les yeux de la rosée Je suis allé sur une montagne couverte de feuillesd’automneet je me tenais debout une assiette vide dans les mains.J’ai enduré le froid de la nuitalors une rosée claire est apparue dans l’assiette.Mais cette rosée était insuffisantepour apaiser ma soif.Si je recueillais la rosée encore une nuit, deviendrait-elleabondante ?Si je regardais, quelques jours durant, les yeux de la roséepourrais-je trouver un poème clair et frais,pourrais-je étancher ma soif sans raison ? Le lendemain, avant même que vienne l’aubeà la place de la rosée une feuille morte est tombée surmon épauleet s’est écriée « Peine perdue », « Peine perdue »alors je me suis affaissé sur moi-même les épauleslourdes.La rosée n’a ouvert ses yeux clairs qu’au petit matinet elle a chéri la feuille morte de cette nuit.-Vous devez donc vivre vos yeux ouverts.Regardez devant, derrière et dessus.Voyez-vous tout ? Vous partez et vous revenez.Jusqu’à ce que vous vous réunissiez tous un à un,et même aprèsvivez les yeux ouverts, comme le vent ou la mer.Moi qui vis comme le vent la montagne ou la merj’ai vu les deux yeux de la rosée. Dès lorsdevant le vent ou derrière la merj’ai vu la rosée avec ses deux yeux ouverts. Les yeux de la rosée __________Le paysage qui restePoème pour mon frère défunt, HunUn oiseau se pose sur une petite branche.La branche se met à bouger faiblement.Même après le départ de l’oiseau la brancheTremble encore sans s’en rendre compte.On dirait que la branche sanglote toute seule.Le paysage qui reste s’obscurcit tout seul. Les yeux de la rosée __________ Fleurs de courge Cette nuit la lune était pleine.Le toit de la maison d’à côté s’est recouvertd’innombrables fleurs de courge blanches.Le clair de lune de la pleine nuit entouraitde son aura bleue ces fleurs de courge.-Les fleurs de courge sont si belles.-Oui.Parole échangée avec mon père sur le seuil en bois de sachambre,plongés chacun dans ses pensées, combien de tempsencoreaurons-nous regardé les fleurs de courge et serons-nousrestés à les écouter ?-Va te coucher maintenant.-Oui, Père.Mon père essuyait ses larmes lorsque je me suis soudainretourné. Pourquoi cette nuit longtemps oubliée m’est-elle tout àcoup revenue ?Sans jamais avoir vu les fleurs de courge, mes enfantssont tous partischacun parvenu à l’âge adulte.Les larmes de mon père me touchent le cœur aujourd’huiseulementet je ne me sens plus seul malgré son absence.Ces larmes me sont devenues si chères. Les yeux de la rosée __________ Une longue rivière de ce monde 1Au coucher subit du soleil quand l’ombre de la montagneen descendantse met à couvrir la large rivière assombriele cours de la vieille rivière devient plus étroit etson nom et sa nationalité s’estompent eux aussi. Prenant place au bord de la rivière de nationalité confuseet rassemblant mes derniers jours où je me perdaissouventje veille toute une nuit écoutant le bruit de l’eau quiremue.Alors ton corps et le mien de nationalités confusesbaignent dans les eaux de cette rivière insondable,ah, je comprends que nous sommes tous des gens natifsdu même paystant que nous sommes ainsi reliés les uns aux autres parl’eau.Enfin l’aube pénètre écartant la nuit lourde.D’innombrables yeux d’eau qui scintillent,les eaux de la rivière en se mêlant se frottent le corps. Ah, cette lumière d’eau, la lumière que j’ai vue quelque partdans ma jeunesse, nous qui allons ainsi tous ensemble dans la même direction,je comprends que même perdus, nous restons debouten une seule compagnie. 2J’ai passé quelques jours tout seul au bord d’une longue rivière. Il n’y avait ni T.V., ni radio, ni littérature, ni beaux-arts, ni musique. Tout ce qui existait là était vivant. La musique vivait entre l’eau et le rocher, sur les lèvres d’une autre rosée rencontrant une rosée d’herbe vivaient les beaux-arts. La poésie vivait sur les antennes d’un insecte tâtant le sol, le roman vivait dans le long voyage tranquille de cet insecte. Tout ce qui existait là bougeait. L’eau, des feuilles d’arbre, des nuages, des oiseaux et de petits animaux bougeaient sans cesse et l’eau de pluie, les cris des insectes nocturnes, la lumière du jour et le clair de lune de la nuit et la lumière d’eau de la rivière et l’ombre de toutes ces choses bougeaient. Ce monde qui bougeait autour de moi faisait mouvoir mon corps en me repoussant. Tout mon corps exposé, je me mis à respirer en imitant la respiration des feuillages épais des arbres.Enfin, j’ai pu savoir que même ma chair, étant vivante, respirait. Le corps qui respirait, dès qu’il se fut échappé des ordres compliqués de ma tête inquiète, se mit à être à l’aise. Mes épaules devenaient légères ; mes yeux devenant vifs, je pouvais voir des fruits d’arbre se cacher dans la toile d’araignée ainsi que le chant d’amour que créent les insectes en agitant leurs ailes. J’ai enfin compris que toutes les choses du monde bougeaient en une seule chose. Toutes les choses du monde n’en formaient qu’une. Elles ne pouvaient être différentes. Alors je me suis décidé à rejeter la différence entre le grand et le petit. Je me suis décidé à rejeter la différence entre le visible et l’invisible, entre vivre et mourir. C’était une décision difficile pour moi-même. Quelques jours après, alors que je disais au revoir à la rivière en quittant le rivage désert, elle s’est approchée de moi sans mot dire pour mettre quelques rivières claires et longues dans mon cœur. Alors je suis devenu une rivière. Les yeux de la rosée __________ Etoile, une joie qui n’est pas encore finie Longtemps, je n’ai pas aimé les étoiles. Sans doute, vivant très éloigné de mon pays, je n’aimais pas avoir de la peine en les regardant se montrer et se cacher si loin de notre réel. Je n’aimais pas ces étoiles qui semblaient esseulées. Cependant, l’été dernier, sur la chaîne de hautes montagnes du Nord, les étoiles que j’ai rencontrées en pleine nuit étaient lumineuses, énormes et magnifiques. Les étoiles claires dormaient paisiblement dans la Voie Lactée toute proche comme si on pouvait y plonger les mains, et leurs souffles m’étaient tendres. Autrefois, levant la tête, on pouvait regarder les étoiles du ciel ; on pouvait parler avec les étoiles n’importe où. Mais de nos jours, où le temps passe vite, on ne croit plus aux étoiles et on tourne le dos à l’espérance. Cet été, pendant quelques jours, en regardant toute la nuit le champ des étoiles bienveillantes et merveilleuses, j’ai vu soudain le visage de mon père défunt et celui de mon frère mort et nous avons été heureux d’échanger des nouvelles. O être cher !Je vous appelle par-dessus toutes les dissonancesdu monde.Vous ne devez ni souffrir ni vous attrister.Y aurait-il quelque part une vie qui ne soit paséphémère ?Pour moi aussi, ces dernières années sont venues avec beaucoup de peines.Je vous regarde en m’appuyant sur ces peines et surmon corps épuisé.ô étoile, ô regret affligeant qui n’est pas encore fini,vous devez atteindre une joie qui demeure dans unlieu difficile à rejoindre.Votre accord est un cadeau de Dieu.Je ferme la porte, éteins la lumièreet touche, moi aussi, votre étoile. Les yeux de la rosée __________ Fleur de la fêteSi l’on entre par exemple à l’intérieur d’une fleuril y fait doux.Là où viventl’étamine et le pistils’appuyant discrètement l’un contre l’autresous prétexte du vent ou d’un toucher. Même une fleur fanée qui baisse la têteest douce.Fécondée ou nonmais comme évanouie sans même se couvrir d’un drapla fleur profondément endormiese tient frêle et gracieuse. Le voyage par lequel je viens vers voussera doux lui aussi.Les yeux et les oreilles de la fleur endormiesont ensevelis au fond de rêves inexaucésô séparation, ô signe de la fête !La poussière de pollen éplorée à profusionnous baignera complètement. Le rêve des oiseaux sent l’arbre (2002) __________Révélation dans les fleurs des champs 1Au bout d’une année l’Apôtre Jeansort d’une grotte dans la roche profonde.Patmos, un îlot de pierres dans le détroit de la Mer Egée,les rayons de soleil sont chauds comme chaque année. Trop vieux, il ne voit pas bien.Il boit de l’eau de pluie recueillie dans un verrepuis agite ses mains en guise de parole : « Aimez-vousles uns les autres ».Alors que Jésus est mort depuis si longtemps,quepeuvent signifier ces cheveux blancs qui flottentlorsqu’il marche lentement dans le chemin de pierres ? 2Les lettres de Jean adressées aux sept églises sont arrivées, expédiées par un bateau de bois en proie à la tempête.Ombre des paroles qui ont traversé un long périple maritime,déchirée par punitions, ordres et hypothèses,on n’y perçoit pas bien la sincérité de l’amour et de la douleuron n’y voit pas bien non plus l’horizon avec ses longues houles. 3Dans la grotte où Jean écrit la Révélation,devant une table en pierre avec un verre d’eauun jeune prêtre orthodoxe s’assoupit.Son visage lumineux surmonté d’un haut chapeau noirexprime sobrement une vision de ses rêves confus.Quand je sors de la grotte après avoir escaladé desdizaines de marches en pierrele vent qui habite l’îlot me lave le visage,des fleurs des champs rassemblées comme une tracese pressent autour de moipour me chuchoter à voix basse : « Aimez-vous les unsles autres ».A cause du bruit des vagues je ne sais trop qui auraprononcé ces paroles mais le souffle de cette voix a fait trembler mes jambes.Seules dansaient les fleurs odorantes et ardentes. Le rêve des oiseaux sent l’arbre __________ Questionnement en ce jour froid Alors qui suis-je maintenant ?Un cornouiller à la peau crevasséepar le vent d’hiver sourit sans répondre.Celui qui garde ses rêves est heureux. Quelques filets de vent très âgés se lèventet remuent le ciel bas :« Des fruits paresseux qui ne sont pas revenus de leur rêvevivent tout aussi heureux. » Quand s’en va ce froid passe une saisonet tout le corps du cornouiller se couvre de fleurs blanchesalors je me débarrasse de la grille de fer mélancoliqueenfouie dans mes oset mets fin à mon long voyage sans but. Un vieil oiseau qui cesse de battre des ailes,traverse-t-il à grand peine le ciel gelé ?Le ciel prend-il dans ses bras le vieil oiseau ? Alors qui suis-je maintenant ?Ni perfection ni certitudele cornouiller dépouillé ne nous laisse rien voir,la tentation de marches claires et vivesest aussi chaleureuse que les derniers jours d’hiver. Le rêve des oiseaux sent l’arbre __________ Ma maison La maison du poisson est l’eaula maison des oiseaux est le cielma maison est la terre, ou bien un bateau vide. Le poisson s’endort au bruit de la rivièreles oiseaux s’endorment dans l’auréole de la luneje m’endors au frisson de la terre qui se refroidit. Le poisson qui ne pouvait fermer ses yeux toute une vieferme ses deux yeux dans le rêve et dort d’un sommeilprofond,le rêve des oiseaux endormis tombe sur l’arbreet réveille l’arbre endormi en pleine nuit sans lune.Le rêve des oiseaux sent l’arbre. Ma maison est l’oreille de la terre,ma maison où tous les bruits affluent pour jouer ensembleest la sueur de la terre,recevoir le sel, le tourment, la joie et la chaleurqui sont fondus dans l’eau.Ma maison qui rentre d’une longue baladeaprès avoir traversé une chair nue, symbole bienheureux est la terre, un bateau sur terre,ma maison qui tangue aux vagues rebelles de la terreest un bateau de pêche en péril. Le rêve des oiseaux sent l’arbre __________ Blessure 1 Marchant sur un sentier dans la forêt de pinsj’ai cherché l’arbre qui sentait particulièrement fortil était marqué d’une blessure profonde au pied.Seuls les pins dévoilant leur réalité ultimenous laissent apercevoir la vérité d’un corps plein de vie. Peut-être guérissent-ils en recollant leurs os eten rattachant leurs chairsavec la sève qui cache et recouvre l’endroit briséseuls les arbres au passé ensanglanténe dissimulent jamais leur nom et leur identité.Ces arbres n’ont pas honte d’être arbres. Avant d’être blessémoi aussi je vivais faussement tranquille en me cachantderrière mon ombre.De même que le pin se laisse reconnaître uniquementpar son odeurmoi aussi je me suis découvertseulement après avoir fait couler mon sang imprévu.Notre peur retourne à la forêt. Nous appelons-nous l’un l’autre ? (2006) __________Miracle Quand je regarde l’aube qui a enduré une nuit froideet que j’entends l’aurore ouvrir lentement sa portetout commencement d’un nouveau jour me semble unmiracle. Dernière étoile qui veillait sur moi ces jours passés,quand elle part pour une longue route vers le ciel oùpointe le jouron ne pourra tout se raconter avant de se quitter :« On s’est vu peu de temps, on se reverra encore,oui, ça marche » Au détour d’un chemin où devient plus vague le bruitfamilier du ruisseaules âmes de la brume se réveillent en s’étirantet avec quelques petits arcs-en-ciel graciles qu’elles ontchoisiselles lavent les deux mains de ce matin. Nous appelons-nous l’un l’autre ? __________ S’appeler par les noms Nous appelons-nous encore l’un l’autre ?Quand un oiseau noir perché sur une branchepleure plusieurs fois d’une note désoléeun autre oiseau lui ressemblant vient tout de suites’asseoir sur la branche d’à côté comme si de rien n’était.Tout près, faisant même du vent avec ses ailes. L’un appelle-t-il encore l’autre ?Cet oiseau ne vient plus depuis quelque temps.On a beau l’appeler, on ne le voit pas.Par une nuit aride et solitaire sur la même branchel’oiseau cherche son semblable comme en parlant dans son sommeil. De lourds partis pris pèsent dans toute la chambre.Au loin un bruit de sifflet recouvert de mousseperce étrangement l’épaisseur de la nuit puis disparaît.On voit s’éteindre un à un des réverbères.Des cœurs brisés roulent également sur le trottoir. Dissimulant même son nom, chacun est devenu seul.Nous appelons-nous encore l’un l’autre ? Nous appelons-nous l’un l’autre ? __________ Lettre du Népal Enfin maintenant je crois comprendre pourquoi l’on compare l’homme à la fleur.La chaleur du corps entre les pierres qui se révèle silongtemps après, la fleur qui laisse cent ans de silence en vivant seulementdix jours, sobres de paroles, ces êtres filent leurs propres habitsalors ces voix gèlent en chemin et se brisent mêmedevant moi.La fleur glacée me connaît si bien même si elle ne mesourit pas.Pendant plus de la moitié d’une année les ongles de mespieds et mains n’ont pas pousséet plus de la moitié de mes cheveux sont tombés ça et là.C’est dû à l’oxygène raréfié ou bien à la mauvaisenourriture, dit-on.Mais je voudrais me débarrasser des accessoirescompliqués de mon corps que je gardais, une fleur sauvage au centre de la vie, je voudraisque ce retourlong, ardent, mystérieux soit mon nom et enfinun aboutissement. Connaîtriez-vous un lieu appelé le ciel Yujang ?Là où le lotus céleste s’endort après s’être épanoui,c’est le ciel le plus sage de tous les cieux. Nous vivons une vie pareille à l’ombre, vous le savez bien,pour arriver sain et sauf jusqu’à ce lieu plein de vieet si paisiblej’apprends à manger de l’air comme des grains un à un. Enfin j’ai l’impression d’atteindre la peau nue du ciel.Par-dessus l’air je commence à devenir léger.Tous les côtés et toutes les directions s’éclaircissent.Tous mes vœux s’épanouissent enfin maintenant. La peau nue du ciel (2012) __________ Le vent qui se tient debout au coin de la rue Après des années de vagabondage je suis revenu de loinet tu étais ce vent qui agitait ses mainslorsque je m’en allais. Là où se rencontrent la triste mer du Nord et la Norvègeoù il fait grand jour même à deux heures du matin,sur le vieux petit pays qui sommeille sans âme qui vive,telles les lignes de la main,des ruelles se tiennent debout comme de misérablesétrangers.Comment aurais-je imaginé que tu te lèves, corps léger, pour me prendre les mains alors que je te croyais parti ! Le vent est-il une résurrection en sanglots ou bienun souvenir ?Peut-être à cause de sa vie errante et durela feuille du vent se trempe dans la rosée tardivedu matin.Le signal lumineux déréglé d’une vie déraisonnablechante d’une voix enrouée sans tenir compte de son âge.Une voix que j’y ai laissée m’appelle. Le village où sanglote toujours le vent, dit-on,je le reconnais enfin en arrivant au coin de cette rue. La peau nue du ciel __________ La frontière est aride Comprends-tu à présent pourquoi j’ai désiréne faire qu’un avec toi ? Entre un pays et un autre, entre toi et moi,cet ultime refus,barbelé aussi glacial que la lueur d’une lame.Par ruses grossières et par aviditésla frontière traverse une montagne verteet dépèce jusqu’au fleuve impétueux. C’est vrai, la peau de la frontière est rugueuse. Comprends-tu à présentpourquoi je vis depuis si longtemps séparédu pays que j’aime ? Et puis comprends-tu à présentpourquoi je t’approchais davantagepour me frotter contre toi à la première occasionet pourquoi je t’ai donné un baiser émuà l’abri de la tempête sur la plaine aride. La peau nue du ciel __________ Un nénuphar Ami, ainsi le temps s’est vraiment évanoui. L’eau qui a du mal à se calmerdevient pluie pour tomber de nouveau sur terrepar le karma de la transmigration.Seule l’eau subtile et pensivedevenant brume après avoir changé son itinérairevient vous chercher au soir de votre vieet renaît en nénuphar blanc rêveur. Je vous l’ai déjà dit, n’est-ce pas, même les idées élevées ou profondesne valent votre frontni votre cœur plein d’espoir. Le nénuphar né aujourd’hui, je ne sais pourquoi,fuit tout l’après-midi mon regard. Comme des rumeurs impudentes qui s’infiltrent,les environs deviennent peu à peu étrangers.Votre présence se fait sentir partout,cela signale-t-il le moment de mon départ ?Ami, tout s’est évanoui trop vite. La peau nue du ciel __________ L’arrière-chemin du printemps lointain A l’époque je ne savais même pas que c’était le printemps.Pourquoi les fleurs étaient si resplendissantespourquoi un ami qui regardait les fleurs soudains’en est alléJe ne savais rien à cette époque. Il fut un temps.Une époque où l’on était plus fier, plus pur, plus lumineux,je dépérissais en rêvant dans une prison pourrissante.Ce recoin que connaissent seules les personnesqui ont été battues à tort. Quand bientôt arrive l’étéque s’endort la révolution qui m’a fait partirque s’éteint le feu de l’idéologie qui n’a pu renaître,Roses de la cour, lys, colombes et rayons du soleil…La prophétie de ce matin exalténous enveloppera de sa voix basse. Toi, tu étais l’unique corps pour moi. As-tu vu mon sang ce jour quand je m’en suis retourné ?As-tu vu l’impatience qui me faisait mordre les lèvreschaque nuitet mes longs cheveux mal arrangés ? Sur les feuilles clairsemées de l’arbre en retraitese réveille une prière du printemps que j’ai délaissée il y a longtemps.Je ne peux rien affirmer sur demain qui est long et loin,oui, c’est vrai, tu m’as illuminé.Là-bas, roses, lys, colombes et rayons du couchant… Je suis un paragraphe. Cliquez ici pour ajouter votre propre texte et me modifier. C'est facile.